Female : interprétation féministe

Publié le par DTC!

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 Qu’est-ce qu’une femme (woman), en 1933, date de la sortie de Female ? Avant tout femme « de » : bonne épouse, mère, ménagère. Dépassons la connotation péjorative du terme « female », femelle. Comprenons-le comme un rejet de la dimension sociale afférente au terme femme, renvoyant à soumission et procréation. Ajoutons-y la dimension animale : appétit sexuel, instinct de prédation, ruse permettant d’arriver à ses fins. Se dessine alors un homme en robe du soir. Soit Alison Drake, digne héritière dirigeant d’une main de fer son usine automobile.

 

  Female, 1933. De Michael Curtiz avec Ruth Chatterton (Alison Drake), George Brent (Jim Thorne), Ferdinand Gottschalk ( Pettigrew)

 

  Aujourd’hui, Alison Drake aurait fini en prisonruth-piscine

  Le jour, cette chef d’entreprise sélectionne parmi ses employés - mâles - l’heureux élu, et l’invite à dîner. Le soir, sur ses terres, la femme d’affaire impitoyable se transforme en objet de fantasme, et déploie une stratégie de séduction extrêmement codifiée pour arriver à ses fins (voir le lancer de coussin atterrissant sur la couche, magnifique gimmick symbolisant les ébats à venir, et aussi le stratagème utilisé pour saouler à la vodka, et ainsi conquérir ses proies). Le lendemain, les hommes qui auraient la mauvaise idée de badiner reçoivent une fin de non-recevoir pour le moins expéditive. Autoritaire et froide, Alison Drake la dirigeante clôt ses phrases d’un lapidaire  « That will be all » qui n’est pas sans rappeler la Meryl Streep du Diable s’habille en Prada. Les prétendants récalcitrants  sont mutés à Montréal (un genre de Saint Pierre-et-Miquelon américain de l’époque). Ceux qui acceptent de jouer le jeu reçoivent une prime pour leurs bons services...Point.

 

Alison Drake aime le sexe et pas les engagements

A l’amie d’enfance venue lui rendre visite, elle affiche son mépris pour les femmes qui se marient et font des enfants : « Je n’ai pas le temps pour ces choses là ». A ce dénigrement de la condition féminine vient s’ajouter celui des hommes. Le point de vue de Pettigrew, l’homme à tout faire d’Alison Drake, l’illustre. Elle se comporte ainsi car les hommes qui se laissent courtiser n’en veulent qu’à sa fortune : ils ne méritent pas meilleur traitement. Pettigrew ( Ferdinand Gottschalk) est un symbole de la figure paternelle : vieil homme aimant, totalement rallié à la cause de sa chère Alison Drake. Ce propos qu’il tient à la secrétaire (qu’il convoite) préfigure le dénouement de l’intrigue. Il suffit qu’un homme aime Alison Drake pour ce qu’elle est, et la rustre croqueuse d’homme se transforme en « femme »… bonne mère, épouse, ménagère.

 

Quand la « femelle » devient « femme »

ruth-regardLa suite est sans grande surprise. Alison Drake rencontre un ingénieur hors du cadre de son travail, tente de le séduire, au début sans succès. Arrive à ses fins, en mimant la petite chose fragile en demande de protection : le genre de femme que Jim Thorne, c’est son nom, recherche. Quand elle refuse sa proposition en mariage, celui-ci donne sa démission. Alison Drake, lâchant toutes ses obligations professionnelles, court les routes pour le retrouver. Elle accepte de l’épouser, lui laisse le soin de diriger l’entreprise, annonce vouloir 9 enfants : en quelques minutes, le dénouement est rondement mené.

 

Mainmise masculine, soumission féminine

Trop rondement mené, au point d’être caricatural… ou cynique ? Le grand gagnant du film - sans en être le héros - est assurément l’homme : là où Alison Drake perd sa liberté sexuelle et son entreprise, Jim Thorne gagne une femme et la fortune. Vraisemblablement, Mickeal Curtiz (il serait présomptueux de sous-estimer le réalisateur de Casablanca) a sciemment forcé le trait pour démontrer l’absurdité et l’immuabilité des codes sociaux en vigueur : mainmise masculine, soumission féminine. La « morale » du film montre ainsi le dilemme qui se pose aux femmes dans une société où elles doivent choisir entre être « female » (ambition professionnelle, liberté sexuelle) et « femme » (famille, amour monogame). Réussite professionnelle et affective s’accorde exclusivement au masculin.

 

Montrer le déterminisme social

Dans cette configuration la femme ne peut endosser qu’un mauvais rôle : soit la débaucheuse de gigolos mimant le macho à qui rien ne résiste, soit la femme soumise, renonçant à toute ambition. L’homme reste lui droit dans ses bottes, sûr de son fait, ne lâchant rien. D’un point de vue peut-être anachronique, on supplie Alison Drake de ne pas se mettre la corde au cou avec Jim Thorne, ce « mâle silencieux » de « la vieille école » ! Mais un spectateur, de même qu’un réalisateur, n’est rien face aux réalités sociales…

 

Faut-il voir ce film ?

OUI, - pour l’illustration sans concession des ressorts de la domination masculine ;

pour le charme désuet des inénarrables fondus en rond et page tournée ponctuant le début du film (présentation de l’usine) ; celui de la « course poursuite », à une allure folle frôlant les … 60 miles/h (100km/h !) ;

pour l’intérêt filmique de certaines scènes (du bon usage de la profondeur de champ pour mettre en parallèle le caractère impersonnel de la machine bureaucratique et de l’entreprise de séduction stéréotypée : bureau de la comptabilité / salon d’Alison Drake) ; 

pour l’à propos de choisir comme lieu une usine d’automobile, à l’époque de la Dépression (1933… le fait que l’usine soit en difficulté participe à l’intrigue) ;

pour le jeu admirable, le charisme et la beauté de Ruth Chatterton.

 

Voir aussi :

 La garçonnière : contre comédie romantique

To be or not to be : rire du nazisme en 1942

 

 

 

Publié dans Années 30

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