La garçonnière : contre comédie romantique
A l’origine, il y a un jeune homme, C.C. Baxter, amoureux d’une belle femme, Fran Kubelik. Ils sont collègues, parlent dans l’ascenseur, s’échangent des regards. Sauf que la belle femme en aime un autre, et C.C. Baxter… comment dire…
C.C. Baxter, l’anti héros
Ses employeurs considèrent C.C Baxter - alias « Brin d’Amour »- comme une marionnette servant leurs intérêts. Son voisin médecin voit en lui un étalon, une exception de la nature dont la virilité (à en croire les bruits perçus à travers les cloisons) devrait être léguée à la science. Pour Fran Kubelik, un collègue gentil, mais surtout drôle et désespérément à côté de la plaque, toujours à contre temps. Ces différents rôles entrainent notre parfait anti héros dans une série de quiproquos et situations vaudevillesques… Pur plaisir voyeuriste, pour le spectateur, d’assister aux innombrables déconvenues de l’attendrissant et irritant C.C Baxter.
Une garçonnière pour obtenir des promotions !
Ce petit employé parmi la masse besogneuse est à la botte de ses patrons. Sans rien pour lui, il parvient pourtant à gravir les échelons de l’entreprise un à un. Son secret : sa piaule de célibataire, une « garçonnière » qu’il prête à ses supérieurs. Ceux-ci, mariés et donc privés d’un toit pour leurs amours adultérines, y marivaudent tout à loisir, laissant la malheureux propriétaire hors de chez lui la nuit durant.
Chérie, et si on jouait au Rami ?
Ce geek avant la lettre (le syndrome « j’égoutte les pâtes avec une raquette de tennis ») incorrigiblement maladroit, en devient attachant à force d’accumuler les gaffes. Après que Fran ait frôlé la mort et se soit fait briser le cœur, il lui raconte sa tentative de suicide, soldée par une balle tirée dans le genou par accident ! Alors qu’elle est étendue dans son lit, seuls tous les deux – ce, par un concours de circonstances on ne peut plus improbable - il ne trouve rien de mieux que de lui proposer… un rami ! (en savoir plus sur les cartes de jeu ici ).
Fran, la fille devient femme
Fran est celle que nous avons toutes été à une époque de notre vie : amoureuse d’un homme qui ne le mérite pas. Elle entretient une relation secrète avec Jeff D. Sheldrake, patron (marié) de la compagnie d’assurance pour laquelle C.C Baxter et elle-même travaillent. Jeff D. Sheldrake a tout pour plaire : sous d’autres auspices que ceux du réalisateur Billy Wilder, il aurait incarné à merveille l’homme de pouvoir charismatique beau, fort, intelligent… sauf que le Prince Charmant se révèle infidèle, lâche, grossier, rustre personnage.
Fran, stéréotype de la jeune employée (é)prise et leurrée par son patron ? Sa fraîcheur, l'authenticité de ses sentiments, l'y abstrait. Un des intérêts du film est de ne pas faire de l’héroïne une oie blanche en attente d’un sauveur. A la fin, c'est à elle qu'imcombe la décision de choisir entre homme… et salaud.
Dans un monde de brutes
Comme le dit Fran, dans ce monde, il y a les "chassés" et les "chasseurs". C.C Baxter et Fran sont deux « vrais » gentils évoluant parmi des personnages uniquement occupés à mentir, tromper, trahir. L'ambiance générale du film n'est d'ailleurs pas sans rappeler les années 60 telles que la série Mad Men les reconstitue : course au profit, ruse, conflits d'intérêt, femmes jouets des hommes. La naïveté de Fran, le côté "ringard" de C.C Baxter, longtemps tournés en dérision, finissent par acquérir le lustre de valeurs devenues obsolètes dans un monde de brutes : sincérité, simplicité, ingénuité. Le choix de Billy Wilder de tourner en noir et blanc à l'époque où la couleur s'impose n'a rien de fortuit.
N’escomptez pas avec l’Appartment, un happy end dans les règles de l’art, baiser sous les étoiles et musique d’orchestre tonitruante. Le film est infiniment plus subtil dans sa manière de montrer comment les êtres se rapprochent, se comprennent. Il met en scène les rencontres et les affinités comme question de kaïros (le moment opportun d’Aristote), et dévoile comment amour et désamour ne tiennent parfois qu’à un geste, un soupir...un rami.
Faut-il voir La Garçonnière ?
Oui, pour :
la performance de Jack Lemmon : C.C Baxter, un personnage authentique, le type même du collègue bizarre dont tout le monde se moque en catimini. Désopilant, attachant, juste.
Constater de ses propres yeux qu’une comédie peut être drôle ET intelligente : oui, les mimiques de C.C Baxter sont irrésistibles, les quiproquos innombrables et rondement menés. Mais le parcours croisé de Baxter et Fran, semés de hasards ubuesques, en dit au final assez long sur la contingence des rapports humains, et peut-être aussi sur les changements sociaux et culturels opérés dans les années 60 (sur cet aspect voir l'excellente analyse qu'en fait le site Eclat d'image ).
Mot de la fin Dans ton Culte !
Hasard ou coïncidence ? J’ai vu deux films dernièrement dont l’obsession du héros était de devenir un « Mensch » (un « homme bien » dans la tradition juive) : A serious Man des frères Coen, et La Garçonnière de Billy Wilder. Magie du cinéma classique, si le digne vœu reste lettre morte dans le premier, il se réalise dans le second.
La Garçonnière (The Apartment), 1960. De Billy Wilder, avec
Jack Lemmon
Shirley MacLaine
Fred MacMurray
Voir aussi :
Femmes éplorées, hommes au chevet